Les enfants sont dépossédés de leurs corps, pourquoi s’étonner des abus ?

J’étais en train de me concentrer pour me souvenir de chaque lettre. A, O, U, I, E…. A, O, U, I, E…. Je répétais les lettres mélodieusement dans ma tête afin de m’en souvenir. J’étais stressée et j’avais peur de ne pas m’en rappeler car je savais qu’en cas d’échec, ma maîtresse utiliserait la chicote pour me punir et me motiver à mieux apprendre mes leçons.  
Cette histoire a eu lieu à Yaoundé, au Cameroun. J’étais en petite section de maternelle. Je n’avais que 3 ou 4 ans et pourtant, les châtiments corporels étaient monnaie courante.  

 
Un confinement qui déclenche des souvenirs… 

Le hashtag metoo est redevenu populaire durant le confinement. Ces dernières semaines, après l’essor de #metooincest, j’ai écouté plusieurs témoignages sur les violences faites aux enfants. Beaucoup d’adultes ont pris la parole pour évoquer les sévices sexuels qu’ils ont vécus étant enfants. Je crois que cette situation assez improbable a créé un climat favorable à l’introspection. Il y a un témoignage en particulier qui m’a beaucoup marquée et qui a fait resurgir quelques souvenirs malheureux. Laetitia n’avait que 6 ans lorsque sa belle-mère a commencé à la violenter. Elle habitait au Gabon et elle a beaucoup souffert de cette maltraitance. Son histoire m’a rappelé ma courte scolarité en Afrique.

Je me rappelle d’une anecdote particulièrement traumatisante vécue par mon frère. Il a reçu une fessée de la part d’un de ses professeurs devant toute l’école. Le pire, c’est que les élèves étaient encouragés à participer en comptant les coups qui lui étaient donnés. 
Cette expérience traumatisante et humiliante n’est malheureusement pas un cas isolé. Elle fait partie d’un continuum de violences éducatives auxquelles les enfants sont confrontés dès leur plus jeune âge dans beaucoup d’écoles africaines. Il y a des chiffres qui interpellent et qui ne trompent pas : « 85%  des enfants âgés de 2 à 14 ans, en Afrique occidentale et centrale ont fait l’expérience de mesures de discipline « violentes », physique ou psychologique. 73% au  Mali, 94% au Ghana. » DW, Abandonner les chatiments corporels.    
 

Un héritage colonial… 


Jusqu’au XXe siècle, les châtiments corporels étaient encore largement pratiqués en Europe et ces pratiques ont été exportées en Afrique. Malheureusement, cet héritage continue encore aujourd’hui à impacter les jeunes enfants.  

Même si les racines de ces violences sont coloniales, je pense qu’il est essentiel de se regarder dans la glace et de dénoncer les éléments problématiques de nos cultures. Aujourd’hui, les conséquences de ces violences sont connues. Elles ont un impact sur les capacités cognitives et affectives de l’enfant. Et au plus un enfant est petit, au plus son cerveau sera marqué par ces violences. Les enfants qui ont vécu ces violences auront à l’âge adulte plus facilement tendance à tomber dans des abus liés aux drogues, à l’alcool et aux comportements auto-destructeurs… 

Au-delà des problèmes engendrés sur le long-terme, il y a aussi la question de la reproduction de ces violences. 1 parent violent sur 2 a subi de la maltraitance lorsqu’il était enfant.  Il s’agit donc d’un cercle vicieux qui peut se reproduire à l’infini si on ne met pas fin à ce cycle de violences. Pourtant, il suffit d’une personne pour arrêter ces traumatismes intergénérationnels.

Le principe d’intégrité corporelle et la dépossession du corps des enfants… 

Le principe d’intégrité corporelle recouvre le droit de chaque être humain (et donc des enfants) à l’autonomie et à l’autodétermination par rapport à leur propre corps. Cette question est au centre de toutes ces problématiques. Quand des lois permettent à des parents, des éducateurs ou des professeurs de « corriger » un enfant qui fait une bêtise, elles peuvent également conduire à des abus plus graves et à de la maltraitance. 

Il y a quelque chose de l’ordre de la soumission lorsqu’on élève un enfant. Un enfant est considéré comme  » bien élevé » si il est calme, obéissant et qu’il se tait. Taper un enfant pour asseoir son autorité ressemble plus à une forme de dressage ou de matage, plutôt qu’à de l’éducation.  On n’apprend pas suffisamment aux enfants à dire non. On ne leur apprend pas non plus à se défendre et à désobéir lorsqu’une situation est inacceptable. Dans beaucoup de cultures, un enfant bien élevé est un enfant qui acquiesce et accepte tout. Pourtant, apprendre à dire non et à ne pas se laisser marcher dessus peut sauver une vie. Ainsi, on peut apprendre à cet enfant à ne pas rester dans un état de sidération si on abuse de lui.

Élever un enfant ou le dresser ? 


La langue française se trahit elle-même. Le terme « élever » peut s’employer autant pour un enfant, que pour un animal. On devrait abandonner le terme « élever » un enfant et lui préférer le mot « éduquer ».  
Même au dictionnaire, la subtilité entre les 2 termes est assez frappante. Elever un enfant, c’est « Nourrir un enfant, entretenir son existence jusqu’à ce qu’il ait acquis une certaine force. » 

Tandis, qu’éduquer un enfant, c’est « Former quelqu’un en développant et en épanouissant sa personnalité. »  

Je pense qu’un enfant bien éduqué, c’est bien plus qu’un enfant obéissant. C’est aussi un enfant qui a réussi à acquérir de l’autonomie et est capable de se défendre et de faire des choix libres et éclairés. C’est également un enfant qui comprend les fondements du consentement et n’impose pas ses envies ou ses idées aux autres enfants. C’est un enfant respectueux de lui-même et des autres, tout simplement.  

Aujourd’hui, beaucoup de gens semblent stupéfaits du nombre d’enfants ayant subi des sévices. Pourtant, pour une grande majorité d’entre nous, notre éducation s’est essentiellement basée sur la crainte de nos parents. Il n’est dès lors, pas étonnant que les abus soient si nombreux, car les violences éducatives ordinaires ont un impact sur la capacité des enfants à reporter les viols.

Aujourd’hui, la parole des victimes d’abus sexuels est de mieux en mieux entendue. Notamment, grâce au travail des féministes qui ont permis d’ouvrir la voie et de mieux accueillir la parole de ces personnes.

Je pense qu’il est important de se former et de s’intéresser à toutes ces questions, sans tomber dans une forme d’éducation positive toxique, où l’autorité des parents est vue comme problématique. 

Ci-dessous, vous trouverez quelques sources et ressources pour en savoir plus : 

comitys.com/consentement-explique-aux-enfants/  

http://a.pdc.free.fr/spip.php?article884  

https://www.who.int/topics/child_abuse/fr/

https://www.unicef.org/fr/sos-enfants/afrique-ouest-centrale-education-peril

https://art19.com/shows/intime-politique

2 commentaires sur “Les enfants sont dépossédés de leurs corps, pourquoi s’étonner des abus ?

  1. Oui marly oui! Je suis avec toi sur ce sujet. Je pense que chaque personne et parent doit examiner leurs propres perpective. When it comes to parenting we have to be so careful and realize that everything we do has an effect later. Corporal punishment was definitely the norm in the past and in many of our upbringings – i am horrified to hear the story of your brother – and the sign of a good parent was one that beat their kids

    but as you mention, children who dont have autonomy and education are being stunted. Children are victimized the most are easy prey because they are so innocent and so trusting. By empowering out children – even if ignorant people balk – we are preparing them for this often sick and cruel world.

    I remember one time someone told me my daughter – who is autistic – needed a beating when she had a meltdown. Someone who doesnt know her from adam said that. that told me just how patientless and exacting imperfect humans can truly be. the norm has become not even to think about what the root cause of a childs unhappiness or misbehavior might be, but instead to punish them. like you said children are expected to be seen and not heard, and then punished when they express any type of nonconformity. Think of all the children with mental issues or disorders, social anxiety and undiagnosed problems that have been beaten because of these norms and methods.

    Anyway i could go on and on about this but thanks for writing this and sharing your story as well as your research.

    Aimé par 1 personne

    1. Dear Sierra,

      Thanks again for commenting. The story about your daughter made me so sad. People are really awful with children. In France, we had a big movement called « metooincest ». I am not sure the hashtag was spread globally but it really broke my heart. There were thousounds of people writing on Twitter what happened when they were younger. And I kept wondering why nobody made the link between sexual assault and parental abuse. Beating children is so normalized. They don’t have any agency on their bodies and I think it’s one of the main reason why they also get raped.

      You know, I am lucky because I never experienced sexual assault as a child and I am sure it’s mainly because I used to be very loud and very confident. I was expressing myself, saying what I thought and being very vocal. (No wonder I feel the need to express myself so much on the blog) 😀 hahaha. I really believe we need to empower our children to say no. It’s also important.

      I was wondering do you have articles about your child autism? I am also interested by the topic. Thanks a lot in advance Sierra. I wish you a calm and peaceful day. 🙂

      J’aime

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