Queen Nikkolah, la fête de Saint-Nicolas sans racisme

Chaque année, début décembre, Saint-Nicolas et son acolyte Père-Fouettard font leur apparition et donnent des cadeaux aux enfants les plus sages. 

Le confinement va totalement changer nos traditions et notre manière de célébrer les fêtes de fin d’année. Je pense que cette période est l’occasion de questionner nos traditions les plus tenaces. Le Père Fouettard est accusé de racisme depuis plusieurs années mais la pandémie rend le débat sur ce sujet moins vif qu’auparavant. Pourtant, le coronavirus n’a jamais réussi à éclipser le racisme.
Beaucoup de villes dans le monde ont scandé “Black Lives Matter” après l’assassinat filmé de Georges Floyd. Et pour la première fois, le Roi Philippe a exprimé ses regrets pour le passé colonial tumultueux de la Belgique.  

Entre ces déclarations et l’ouverture d’une commission “vérité et réconciliation” sur le passé colonial belge, il semblerait que les voix des Afrodescendants belges commencent à devenir audibles.  

Rite d’initiation au racisme… 

Mireille-Tsheusi est chercheuse associative. Elle a fait une étude avec l’ASBL Change afin de déterminer l’influence de Père Fouettard sur les enfants africains. 70 enfants d’origine africaine de 3 à 9 ans ont été interrogés.  

Pour Mireille, la figure de Zwarte Piet est un rite d’initiation au racisme en Belgique… 

« La figure de Père fouettard renvoie à la vision coloniale qu’on a des afrodescendants… Saint-Nicolas existe dans 44 pays dans le monde et la majorité des pays n’a pas cette 2e figure noire. (…) Dans les discours des enfants, 4 stéréotypes attribués aux Africains sont revenus lorsqu’on leur demandait de décrire le Père Fouettard : 

1.     il est méchant 

2.     il est paresseux 

3.     il est servile 

4.     il est divertissant (amusant, drôle, il sait danser…) 

Tous les ans, on va faire cette fête : on répète les mêmes gestes avec les mêmes acteurs. Ce culte est doublement efficace car à cet âge-là, on est fort impacté par les images. C’est pour ça qu’il est important d’instaurer des ruptures dès aujourd’hui et de ne pas laisser les enfants se laisser avoir dans ces rites racistes. On apprend aux enfants le mépris et la discrimination de façon très implicite.”

Quand on connait la situation dans laquelle les afrodescendant.e.s se trouvent en Belgique, on se rend compte que ce type d’initiation a des conséquences tangibles dans nos vies…1 

Faites connaissance avec la dernière hybridation de Saint-Nicolas : Queen Nikkolah 

Photo Vooruit

Queen Nikkolah, c’est l’antithèse de Saint-Nicolas ou plutôt, une version décoloniale du personnage de Saint-Nicolas. Queen Nikkolah est une femme noire et elle ne possède pas d’acolytes. J’ai rencontré Laura, qui devient Queen Nikkolah chaque année, à la fin du mois de novembre. Laura est architecte de formation et travaille dans la recherche artistique. Elle est doctorante à l’Université de Gand et elle a un cours qui s’appelle ‘radical presence’.  

On ne sait pas exactement quelle forme aura la fête cette année mais je fais confiance à Queen Nikkolah pour nous surprendre… 

Dans mon interview, j’ai tenté de mieux comprendre quel était son objectif et voir comment on pouvait profiter de cette période de jachère pour créer une nouvelle dynamique. Pourrons-nous dans le futur vivre une Saint-Nicolas sans racisme ?  

Qui est Queen Nikkolah? 

« Queen Nikkolah est une nouvelle tradition, que je considère comme la dernière hybridation de la tradition de Saint-Nicolas. Elle en a déjà connu plusieurs, dont une très problématique durant la période coloniale. » « Lorsque j’ai créé Queen Nikkolah, je n’avais pas conscience de l’existence du Nieuwe Sint qui joue le rôle d’un Saint-Nicolas noir aux Pays-Bas. Mais je pense que c’est un phénomène naturel. Les traditions émergent de sociétés en perpétuelle évolution. L’inspiration est collective. Par exemple, l’utilisation de la royauté était déjà en vogue avec l’idée de l’empowerment de la femme noire. Il y a plein de reines rouges (militantes) belges, dont je me suis inspirée pour créer Queen Nikkolah. Queen Nikkolah est apparue comme les autres hybridations de la fête de Saint-Nicolas. J’ai vécu en Hollande à l’âge de 18 et j’en ai 32 aujourd’hui. Je connaissais déjà Père Fouettard mais c’est là-bas, que j’ai vraiment rencontré Zwarte Piet. C’est là-bas, que je me suis rendu compte de la portée coloniale de ce personnage. »

Il faut faire une distinction entre les deux personnages selon toi ?   

« Les deux personnages sont problématiques. Mais je trouve que le côté colonial est plus assumé avec le grimage massif de Zwarte Piet. J’ai grandi en Wallonie et on ne déguisait pas les enfants en Pères Fouettards car c’était une personne mauvaise. Là-bas c’est une personne soumise et divertissante. Il y a énormément de gens qui se griment et c’est assez violent. Ce n’est pas anodin. On n’incarne pas Zwarte Piet si facilement. C’est d’autant plus difficile de déconstruire tout ça lorsqu’on l’a déjà fait. Moi je travaille beaucoup avec des repentis en Flandre. (Rires) C’est marrant de voir qui arrive à faire ce pas ».  

Est-ce que tu as déjà eu des remarques négatives lors de tes représentations ? En ligne et dans la vraie vie ? 

« Durant les évènements, je suis toujours en territoire conquis. Pour moi, Queen Nikkolah, c’est une présence. C’est une femme qui prend le métro, qui va en réunion. Queen Nikkolah a toute une garde-robe qui s’adapte aux circonstances. C’est une présence radicale et elle est là même dans la rue. L’une de mes plus belles anecdotes, c’est dans la rue à Gand. J’allais justement en réunion au Vooruit et il y a des enfants qui ont commencé à courir en demandant des cadeaux. Ils reconnaissent les codes : la mitre, la veste rouge. Les enfants veulent juste avoir des bonbons… Il y a un côté sublime et festif. Et ça se passe très bien dans l’espace public. En ligne par contre, c’est difficile. Cette année, ça va mais suis un peu traumatisée par Facebook et je suis beaucoup plus présente sur Instagram. J’ai des alliés qui m’aident à gérer la page Facebook car c’était vraiment éprouvant l’an dernier. Le plus difficile, c’est qu’il y a beaucoup d’argumentaires passionnées. Mon personnage révèle des fragilités identitaires très fortes. »  

Pourquoi cette question cristallise autant de passion et de haine ?  

« La Belgique est un jeune pays qui n’a pas beaucoup d’histoire. L’un des arguments pro-Père Fouettard, c’est de dire que c’est une tradition qui a toujours existé mais c’est absolument faux. Il y a une vacuité identitaire qui fait qu’on se raccroche à ça. L’entreprise coloniale a beaucoup contribué à donner une grandeur à la Belgique. Mais elle doit avoir honte de la seule histoire qu’elle a. On touche à l’un des seuls symboles qui rassemble. C’est une crise d’identité belge. » 

Comment prépares-tu le futur ?  

« La période est assez compliquée mais j’avais prévu quelques représentations avec des centres culturels flamands : le Vooruit et Zinnema. »

Si vous souhaitez en savoir plus sur Queen Nikkolah, vous pourrez la retrouver en ligne, sur tous ses réseaux sociaux : 

Elle a également fait une conférence récemment sur la “radical presence” et l’histoire des personnages folkloriques liées aux fêtes de fin d’année.  

Sources :  

Marlène Izere (Déc 2019) « Incarner l’altérité pour mieux la rejeter », Analyse n°45, Edt. Kwandika de Bamko-Cran asbl, Bruxelles. 

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