Depuis que j’ai commencé mes recherches sur le Rwanda, je suis confrontée à beaucoup de solitude.
Mes parents ne m’aident pas beaucoup à comprendre ce qu’il s’est passé au Rwanda.
J’ai la chance d’être très proche de mes parents et pourtant, il est très difficile de parler de tous ces sujets avec eux. De ce fait, je me retrouve à fouiller dans des archives et des livres pour trouver des réponses à mes questions.
Ce qui me pousse à faire toutes ces recherches, c’est que je m’intéresse à la psychogénéalogie. La psychogénéalogie estime que l’individu existe dans un espace tridimensionnel ; en tant que sujet, en tant que membre de sa famille et en tant que produit d’une histoire qui le dépasse. (Maureen Boigen) Dans la psychogénéalogie, on suppose que l’inconscient familial laisse des traces dans tous nos choix. J’ai donc décidé de me replonger dans l’histoire rwandaise pour mieux comprendre le parcours de migration de mes parents et prendre de meilleures décisions dans ma vie d’adulte.
Quand j’étais petite, mes parents ont très peu répondu à mes questions sur le Rwanda. J’ai appris l’histoire de mon pays dans les médias et à aucun moment, mes parents ne m’ont regardée en face pour m’expliquer ce qu’il s’était passé.

« De nombreux chercheurs concluent que le silence et la non-élaboration des événements s’installent dans les familles où les parents ont vécu des violences collectives. Ce phénomène appelé « la conspiration du silence » a été identifié comme étant à l’origine de souffrance, notamment au sein des familles des survivants de l’Holocauste » (Zajde, 2005).
Le concept de conspiration du silence est évoqué dans le doctorat d’Eva Ošlejšková sur les transmissions familiales rwandaises. Dans les interviews qu’elle a menées avec des rescapés du génocide rwandais, le manque de communication avec les parents était évident. Ce silence permet aux parents de ne pas se laisser envahir par des émotions de tristesse.
« La conspiration du silence évoque le comportement d’un groupe de personnes, qui, par consensus tacite, ne mentionne pas, ne discute pas, ou ne reconnaît pas un sujet donné. »
En tant qu’enfant, on assimile très vite ce consensus tacite car on arrête de poser des questions. Beaucoup d’enfants rwandais ont probablement interrogé leurs parents, mais leur parole a mal été accueillie. Certains ont bien vu la tristesse profonde dans les yeux de leurs parents. Le silence est une forme communication très forte et on comprend vite le tabou qui entoure ce sujet.

Pourquoi ce silence ?
Il peut y avoir plusieurs raisons à ce silence. “Dans le contexte de violence collective, l’acte de transmission de l’expérience vécue représente une tâche douloureuse, voire impossible pour de nombreux survivants.”
- La honte
La première raison c’est la honte. Des sentiments de honte ou de culpabilité accompagnent le silence des survivants.
- Ne pas transmettre la rancune
En gardant le silence, les parents estiment protéger leurs enfants d’un sentiment de rancune ou d’une envie de vengeance. En évitant de parler des maux qui les accompagnent, ils évitent de transmettre les sentiments négatifs qui les habitent encore.
- La retenue émotionnelle
Les parents ne veulent pas se mettre à nu et se montrer dans une situation de vulnérabilité. Dans la culture rwandaise, la figure parentale est une figure de force et d’appui et il est essentiel de ne pas perdre la face. Les parents se voient comme incapables d’assurer leur rôle protecteur s’ils sont sensibles.

Délier les langues pour avancer
Beaucoup de parents ont l’intuition de devoir parler à leurs enfants. Ils savent qu’ils devraient le faire mais ils ne savent pas comment. Ne pas avoir eu la possibilité de suivre une thérapie après les nombreux traumatismes qu’ils ont vécus joue probablement un rôle dans cette difficulté d’expression.
Ce qu’il y a de particulier dans la tragédie rwandaise, c’est que toute la lumière n’a pas encore été faite sur ce qui s’est passé au Rwanda. A cause d’une propagande très forte du régime de Kigali, une grande partie des victimes de cette tragédie se sent incomprise. Il est difficile pour ces personnes de prendre la parole car ils le font dans un contexte très tendu, autant au Rwanda, que dans la diaspora. Cette culture du silence nous dessert fortement car elle crée une brèche capable d’alimenter les sentiments les plus négatifs. En s’empêchant de transmettre, les parents ne donnent pas à leurs enfants, les outils nécessaires pour se construire et se prémunir de nouvelles manipulations politiques.
Dans cet article, mon objectif n’est pas de culpabiliser les parents qui ne souhaitent pas parler de ces sujets avec leurs enfants. Par contre, je pense qu’il est important de casser ces cercles vicieux et de transmettre leur histoire correctement. Je pense que ces parents peuvent au minimum, conseiller des livres ou des films documentaires sur le sujet afin que leurs enfants puissent mieux comprendre ce qu’il s’est passé. Sinon, les institutions s’en chargeront et donneront une explication partielle et partiale de l’histoire en montrant une vision totalement manichéenne du conflit rwandais.
Sources :