Ce lundi 30 août, c’était la journée internationale des personnes disparues. Cette journée est cruciale pour toutes les communautés qui ont survécu à un génocide ou à une guerre récemment.
Dans la diaspora rwandaise, la question des disparitions est un drame qui nous hante car tout le monde est concerné.
Pour ma part, j’ai des oncles et des tantes qui ont disparu dans les années 90. Il reste très difficile pour moi d’évoquer leur existence auprès de ma mère car la blessure est encore vive.
J’ai souhaité prendre le temps d’en parler avec un rwandais touché pour comprendre pourquoi ces questions demeurent un tabou dans la diaspora.
Jacques Habyalimana a accepté de me livrer son témoignage.
Peux-tu m’expliquer ce que tu as vécu durant le génocide au Rwanda ?
Nous sommes hutus. J’ai perdu mes parents et l’une de mes sœurs durant le génocide. On habitait dans la capitale et le jour où il y a eu l’attentat, ma grande sœur n’était pas à la maison. Elle était avec des amies qui étaient tutsies. Quand la guerre a éclaté, elle a été tuée avec ses amies.
Ensuite, on a commencé à fuir Kigali et on a marché durant plusieurs jours. À l’époque, mon père avait des problèmes de santé et il n’a pas pu continuer à fuir. On suppose qu’il est décédé.
Quand le FPR a pris le pouvoir, on a traversé la frontière pour Bukavu, au Congo. Après la guerre, ma mère a fait le chemin retour vers Kigali et des gens avaient accaparé notre maison. Au mois d’août, ma sœur est allée lui rendre visite et elle n’était plus là.
Dans toutes ces affaires, il n’y a pas eu d’enquêtes. On a entendu plusieurs versions, mais on ne sait pas ce qu’il s’est réellement passé. Certains disent qu’on a tiré sur mon père, d’autres disent que ma mère aurait été enterrée dans notre parcelle. Pour ma grande sœur, on ne sait pas grand-chose non plus. On s’efforce d’imaginer ce qui a bien pu se passer mais c’est une guerre et tu ne peux pas avoir une version qui soit sûre à 100 %.
Que penses-tu du fait que beaucoup de Rwandais se murent dans le silence ?
Ce qui s’est passé chez nous a été traumatisant. On a essayé d’oublier parce qu’on était en mode survie. Tu te dis, ça va aller et tu continues mais ce que tu essaies d’enfuir ne va nulle part et ça finit par ressortir. C’est une expérience que j’ai vécue moi-même. C’est dur de perdre un frère et de ne pas avoir la possibilité de l’enterrer et de le pleurer. Tu ne peux pas l’accompagner et faire ton deuil correctement.
Au-delà de ça, on n’a jamais fait de parcours psychologique. On n’a jamais pris le temps de s’arrêter pour se demander : comment je vais ? Ce qu’on a vécu a été tellement profond. La deuxième cause, c’est le flegme de la culture rwandaise : il ne faut jamais montrer qu’on n’est pas bien. C’est extrêmement accentué chez nous. On doit sauver les apparences par peur du regard des autres.

Certaines associations tentent de retrouver les disparus qui ne seraient pas morts. Par exemple, l’association « le cri d’une mère qui espère » tente de mettre en contact des enfants adoptés qui auraient en fait encore des proches parents qui ne sont pas morts. Que penses-tu d’une telle initiative ?
C’est un bon projet. On devrait même faire quelque chose de plus grand. On avait déjà pensé à créer quelque chose de similaire avec ma sœur. À un moment donné, beaucoup de gens faisaient des annonces sur YouTube en disant qu’ils avaient perdu des proches.
L’espoir de cette mère lui permet d’aller de l’avant car elle ne veut pas abandonner et accepter que ses enfants ne sont plus. C’est son choix de continuer à chercher. Moi, j’ai fait un parcours d’acceptation. J’ai admis que mes parents n’étaient plus là.
Durant le confinement, j’ai finalement accepté leur absence et j’ai pu affronter certaines de mes peurs. J’ai compris pourquoi je réagissais d’une certaine manière et pas d’une autre. Il y a des chocs émotionnels à l’intérieur, qu’il faut accueillir et ne pas renier. À partir du moment où on admet cette douleur, ça nous libère et ça nous soulage. Mais quand on refuse d’ouvrir cette porte, ça nous fait mal même physiquement.
Je pense que ce qui est difficile aussi pour la diaspora rwandaise, c’est que les lieux de mémoires ne sont pas inclusifs et sont tous imprégnés de politique. Qu’en penses-tu ?
Ce silence est aussi dû à un manque de justice. Nous sommes du côté de ceux qui ont perdu la guerre. C’est comme si on n’existait pas. On ne peut pas vraiment participer à des évènements symboliques car notre souffrance n’est pas reconnue. On est ostracisé car un hutu équivaut à un génocidaire dans l’imaginaire collectif. On manque de manifestations où on peut retrouver une énergie commune. Vous vous imaginez si nous pouvions, tous ensemble, aller dans un cimetière pour nous souvenir de nos morts, au moins une fois par an ? On pourrait par exemple, faire un enterrement fictif qui symboliserait toute personne disparue.
Est-ce qu’il y a des initiatives qui existent ?
Tout est politisé et c’est bien dommage parce qu’encore aujourd’hui, la société rwandaise est coupée en 2. Les jeunes ont moins ce fardeau historique. Les nouvelles générations sont capables d’organiser des choses qui n’ont pas de couleur. Je souhaite organiser un évènement culturel car c’est l’un des meilleurs moyens d’attirer les jeunes pour parler de ces sujets.
Aujourd’hui, Jacques est à la tête de Pamoja : « une ligne street wear qui met en évidence les milles et une expression artistiques des Peuples d’Afrique »
